En 1959, le monde artistique rend hommage au mécène visionnaire Serge de Diaghilev à l’occasion de deux événements : le trentième anniversaire de sa mort (1929), et les 50 ans de la venue à Paris, sous son impulsion, des Ballets Russes (1909), commencement d’une période prodigieuse durant laquelle, pour le seul domaine de la musique, naissent deux des œuvres les plus révolutionnaires du XXème siècle : Le Sacre du printemps de Stravinski et Jeux de Debussy (1913).
Après la commémoration en 1954 du vingt-cinquième anniversaire de la disparition de Diaghilev, auquel avait participé avec triomphe Ansermet en dirigeant l’Orchestre du Royal Opera House de Covent Garden, la compagnie britannique Decca décide d’organiser des sessions d’enregistrements. Elles auront lieu en 1959, entre le 13 et 16 janvier au Kingsway Hall. Ansermet conçoit un programme de séquences (célèbres) de ballets du répertoire, qui ont fait la gloire des Ballets Russes.
Pour les Tchaïkovski, les visions intégrales avec L’Orchestre de la Suisse Romande (novembre 1958, puis printemps 1959) demeurent d’une tout autre nature, moins lyrique et rêveuse, moins charmeuse, et de toute évidence plus crue ; de la direction du chef s’y dégage en effet une intensité dramatique, un art flamboyant, très noir, presque asphyxiant par ses tourbillons vertigineux. À Covent Garden, la respiration est celle du plaisir, du rêve et de l’enchantement par les timbres (comparez la Valse de l’Acte I de La Belle au bois dormant dans les deux versions). Texture plus dense de l’orchestre, mais certainement une plus grande expressivité, et aussi une agilité féline, une finesse enthousiasmante (la Danse de la Fée-Dragée de Casse-noisette de Tchaïkovski, ou la Valse des Sylphides de Chopin/Douglas). Des incunables souvent passionnants, enfin rendus accessibles.
Il faut redécouvrir Coppélia de Delibes, musique incroyable comme Namouna de Lalo. « Quel charme, quelle richesse, quelle élégance dans la mélodie, le rythme et l’harmonie ! Je suis confondu ! Si j’avais eu connaissance de cette musique, je n’aurais jamais composé Le Lac des cygnes », disait Tchaïkovski à propos de Sylvia, l’autre grand ballet de Delibes. Les orchestres français, aujourd’hui, se liguent-ils dans une politique d’abandon de leur patrimoine?