À 21 ans, avec sa gueule de gamin, Benjamin Beilman avait signé sous étiquette Analekta une électrisante et poétique lecture des deux Sonates de Prokofiev y ajoutant la Sonate pour violon seul. Une claque ! Cet archet diseur, d’une variété de touches et de traits incroyable était d’un chanteur, mais d’un violoniste ? Vite la technique stupéfiante, une liberté dans le jeu, quelque chose d’aventureux porté par une sorte de giocoso irréfrénable, une sonorité irradiante et mobile m’avaient convaincu. Ce jeune homme était déjà un maître de son instrument.
Je guettais depuis trois ans son nouveau disque, le voilà, son accompagnateur n’a pas changé, le parfait Yekwoon Sunwoo, discret, efficace, un musicien, et c’est bien, même si l’on sait que Benjamin Beilman commence à jouer avec Louis Schwizgebel.
Cette fois, pas de monographie, mais un programme à première vue étrange : que font ensemble le Grand Duo de Schubert, la Sonate de Janáček et le Divertimento de Stravinski. Rien, ils n’ont rien à faire, ni à se dire. Rentrant chez Warner, on lui aura demandé une carte de visite, mais pour son premier disque chez une « major », l’éditeur ne souffle pas un mot sur l’interprète alors qu’un texte s’évertue à présenter les œuvres sans d’ailleurs leur trouver la moindre confluence.
Mes interrogations cessent dès les premières notes du Grand Duo – l’archet y murmure, le vibrato avec mesure y plie la phrase, l’aigu s’y diapre, c’est d’un artiste, et tout du long Schubert chante dans ce violon qui lui met des mots dans les mélodies. Admirable. Mais voilà la Sonate de Janáček, dont l’élan véhément, les phrases si tendues qu’on peut les voir se rompre de l’intérieur, n’auront pas retrouvé un archet aussi engagé depuis Oistrakh. Avec cela, une attention à la ponctuation, que ce soit de l’archet ou des pizzicatos, et une façon de chanter sotto voce qui correspond bien à la poétique du compositeur morave.
Pour le Divertimento et son caractère de pastiche faussement tendre, Beilman semble avoir changé de violon, mais non, c’est bien l’instrument si typé que Peter Greiner lui a créé en 2004 qui semble soudain vibrer d’une énergie anguleuse, mordante, ironique : cette façon de changer radicalement son jeu et sa sonorité en fonction des œuvres n’en finit pas de m’étonner.
Coda : retour à Vienne, mais cette fois avec Kreisler : la Fantasietta n’est pas sa pièce la plus courue, elle est plus nostalgique que virtuose, demande au violoniste une imagination d’accents, de soupirs, de chant et surtout de posséder la culture d’un ancien monde aujourd’hui disparu. Vous savez quoi ? Il en a tout compris : à vingt-cinq ans un génie déjà.
LE DISQUE DU JOUR
Franz Schubert (1797-1827)
Sonate pour violon et piano
en la majeur, D. 574 « Grand Duo »
Leoš Janáček (1854-1928)
Sonate pour violon et piano, JW VII/7
Igor Stravinski (1882-1971)
Divertimento d’après le ballet “Le Baiser de la fée”
Fritz Kreisler (1875-1962)
Viennese Rhapsodic Fantasietta
Benjamin Beilman, violon
Yekwon Sunwoo, piano
Un album du label Warner 082564008971
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Photo à la une : © DR