Qu’ont-ils donc tous avec les Symphonies de Scriabine, qui restèrent si longtemps la propriété quasi privée d’Evgeni Svetlanov, lequel reprit littéralement le matériel d’orchestre qu’avait annoté Nikolai Golovanov ? Mikhail Pletnev les remet sur le métier, et voici que me parviennent la même semaine deux versions absolument opposées de la Troisième Symphonie et du Poème de l’Extase.
À Londres, dans l’acoustique peu flatteuse du Barbican, Valery Gergiev emporte tout dans une bourrasque de sons – le Divin Poème, comme Le Poème de l’Extase – lecture abrupte, péremptoire, dont la grandiloquence désigne sans fard le dieu caché derrière cette musique : Wagner. Formidable, dévastateur même si pour Le Poème de l’Extase, qui pourtant éclate de fureur et de majesté dans les pupitres de l’Orchestre Symphonique de Londres, je lui préfère sa lecture tout aussi radicale avec les instruments plus épicés de son Orchestre du Mariinsky (Philips, couplé avec Le Sacre du printemps).
Ces concerts captés en 2014 sont très certainement le début d’une intégrale de l’œuvre d’orchestre, puisque viennent de paraître un autre volume regroupant les deux premières symphonies. La question continue en revanche de se poser pour les enregistrements réalisés sans public du 2 au 7 février 2015 au Concert Hall d’Oslo par Vasily Petrenko et l’orchestre dont il est devenu le directeur musical au début de la saison 2013-2014.
À l’écoute de ce qui finalement est leur premier disque commun si l’on met à part deux albums concertants et une Première Symphonie de Mahler dont la publication a été suspendue, j’espère bien qu’ils aborderont les deux autres Symphonies et Prométhée, car ce que cet album donne à entendre est proprement prodigieux.
Vasily Petrenko renonce dans Le Poème de l’Extase à tout geste démiurgique, il y raffine au contraire un univers sonore cosmique, dont les divers plans sont détaillés par transparences, toute une grammaire étrange dont les futuristes russes et finnois feront leur miel.
C’est tirer Scriabine de son ésotérisme pour le remettre au centre du grand concert européen de la modernité.
L’Orchestre Symphonique d’Oslo est magnifique, flûte solaires, cordes en soie, cuivres titanesques, trompette irréelle, Petrenko le modèle d’un trait léger et coupant, en creuse les sonorités, en étale les harmonies pour créer des irisations oniriques. Merveille.
À force de resserrer les rythmes et de composer son immense machine sonore, il fait de la 3e Symphonie non plus ce chaos, mais un hymne dansé. Écoutez seulement le rythme de marche rapide avec lequel il emmène le Finale. J’ai toujours pensé que ce grand chef n’avait pas trouvé jusqu’alors son orchestre : c’est chose faite. Et il a également rencontré un éditeur qui a particulièrement soigné la prise de son, la gravure, mais aussi le livret en quadrichromie qui reproduit trois toiles futuristes signées Kandinsky, Yuon et Roerich. Vite, la suite !
LE DISQUE DU JOUR
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Symphonie No. 3, Op. 43
« Le Divin Poème »
Le Poème de l’Extase, Op. 54
London Symphony Orchestra
Valery Gergiev, direction
Un album SACD du label LSO Live LSO0771
Acheter l’album sur le site du label LSO Live ou sur Amazon.fr – Télécharger l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Alexandre Scriabine
Symphonie No. 3, Op. 43
« Le Divin Poème »
Le Poème de l’Extase, Op. 54
Orchestre Symphonique d’Oslo
Vasily Petrenko, direction
Un album SACD du label LAWO
Acheter l’album sur le site du label LAWO ou sur Amazon.fr
Photo à la une : © Mark McNulty