Retrouver Barry

Une médaille d’or au Concours Tchaikovski 1986 avait lancé la carrière de Barry Douglas, lui offrant un contrat chez RCA. Moussorgski, Prokofiev, Rachmaninov, Tchaikovski : un tropisme russe semblait le poursuivre durant ses premiers enregistrements. Mais une Hammerklavier, puis un Premier Concerto de Brahms me cueillirent littéralement. La beauté de cette sonorité, l’équilibre des polyphonies, le discours modelé et pourtant sans maniérisme et ce clavier qui chante sans ostentation étaient d’abord d’un artiste. Un très étonnant couplage Fantaisie de Debussy et Concerto de Britten (enregistré à Paris avec Janowski) me confirmait dans mon admiration. Puis les disques cessèrent, on murmurait qu’il passait plus de temps à diriger la Camerata Ireland qu’à jouer son piano.

Je craignais le pire, mais une intégrale des Concertos de Beethoven avec justement ses musiciens irlandais me rasséréna : de la musique sans cesse, et toujours cette sonorité de rêve.

La cinquantaine passée, le voilà enfin parfaitement capté par les micros de Chandos. Sujet : le grand répertoire romantique. Un cycle Brahms que j’avais laissé de côté m’accompagne depuis plusieurs jours, probablement le plus abouti que nous ait proposé le disque depuis celui de Julius Katchen, j’y reviendrai bientôt. Sujet : comment faire sonner le piano sans les marteaux.

En marge du cycle Brahms, un premier volume consacré au piano de Schubert, enregistré dans la belle acoustique du Curtis Auditorium de l’École de Musique de Cork me laisse sans voix. Cette science des timbres est d’un autre temps. Le grand Steinway n’est plus un piano, mais un chanteur, le son y modèle des mots, une éloquence sans appui distille les longs rubans mélodiques du Molto moderato de l’ultime Sonate, dosant les silences, cherchant la nuance piano pour créer l’attente. Mystères, lyrisme, et cette couleur dorée, automnale qui entraine au rêve.

Il faut entendre comment le discours est pensé, réalisé, avec quel luxe de touchés, de phrasés, d’accents, de suspensions l’irrépressible voyage schubertien est ici conduit. Et ce trille qui semble ouvrir un autre espace sonore n’est-il pas aussi magique que celui de Kempff jadis ?

Sans clairon, la Fantaisie « Wanderer » qui referme ce disque merveilleux a un côté Winterreise, du Schubert absolument, sans plus rien de cet héroïsme beethovénien que tant y mettent, et les deux Lieder trouvent au travers des transcriptions de Liszt le caractère des originaux. Le cycle Brahms s’achevant, il faut espérer que Barry Douglas poursuive avec ce Schubert aux lumières étranges où tout son art transparaît, subtil, élégant, émouvant.

LE DISQUE DU JOUR

cover douglas barry schubert chandosFranz Schubert (1797-1827)
Sonate No. 21 en si bémol majeur, D. 960
Du bist die Ruh, D. 776
(arr. Liszt)

Ungeduld, D. 795 (arr. Liszt)
Fantaisie en ut majeur, D. 760 « Wanderer »

Barry Douglas, piano

Un album du label Chandos CHAN 10807
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Photo à la une : © DR