Je me souviens encore avec quel chic Lionel Bringuier dirigea La Valse de Ravel, emportant avec lui public et jury : c’est elle qui lui a fait gagner le concours de Besançon.
Il fallait bien qu’au disque il vint à Ravel, son porte-bonheur. Passé sous étiquette jaune comme ses admirateurs et mentors Salonen et Dudamel, succédant à David Zinman à la Tonhalle de Zürich, Ravel sera donc son vrai galop d’entrée au disque. Un premier album avait déjà paru, où il accompagnait du mieux qu’il le pouvait les deux Concertos à Yuja Wang, doigts sans esprit. On les retrouve ici, brillants et vides, inutiles dans la discographie, oubliés déjà.
Voici donc tout l’orchestre de Ravel ou presque – manquent les Cantates du Prix de Rome, les orchestrations d’œuvres d’autres compositeurs (et il n’y a donc pas que les Tableaux dans cet ensemble trop peu enregistré, voir mon papier d’hier), et toutes les mélodies que Ravel aura revêtues de symphonies – peut-être un peu trop tôt venu.
Paille majeure de l’ensemble, un Daphnis et Chloé sans atmosphère, sans narration d’ailleurs aussi, une symphonie de timbres abstraite dont la balance souvent n’est pas idéale. Oubliable.
Mais ailleurs, on sent derrière le geste classique, parfois un peu boutonné, un vrai ravélien : l’élégance de la Rapsodie espagnole, sans raffut dans la Feria, l’Alborada sans caricature, l’exquise nostalgie du Tombeau de Couperin, un Boléro tenu qui prend des allures de copla, des Valses nobles et sentimentales plus inquiètes qu’à leur tour, tout cela frémit, se contient et pourtant déborde comme dans l’admirable lecture envoutée d’Une barque sur l’océan, ce chef-d’œuvre absolu de l’orchestre de Ravel qu’on oublie toujours et qui fascinait Enesco.
Ray Chen n’est absolument pas tzigane dans Tzigane, ni Bringuier d’ailleurs : ils cherchent la figure de style, et la trouvent. C’est brillant et net, comme un air de virtuosité, mais est-ce l’œuvre ? Même question pour la Pavane, dont le tempo tombe, alors que le Menuet antique est une splendeur. Mais je reviens à La Valse, et là, impossible de ne pas à nouveau être émerveillé.
Un souhait : aux Prom’s, Lioniel Bringuier avait dirigé une épatante Troisième Symphonie de Roussel, et le label aux tulipes n’a toujours pas de cycle symphonique du maître de Varengeville à son catalogue …
LE DISQUE DU JOUR
Maurice Ravel (1875-1937)
L’Œuvre d’orchestre
Shéhérazade, ouverture de féerie, M. 17
Tzigane, rapsodie de concert pour violon et orchestre, M. 76
Le Tombeau de Couperin,
M. 68
Boléro, M. 81
Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, M. 83
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Ma Mère l’Oye (Ballet), M. 62
Fanfare de « L’Éventail de Jeanne », M. 80
Boléro, M. 81
Pavane pour une infante défunte, M. 19
Menuet antique, M. 7
Une barque sur l’océan, M. 43/3
Concerto pour piano et orchestre en ré majeur, M. 82 « Pour la main gauche »
Rapsodie espagnole, M. 54
Alborada del gracioso, M. 43/4
La Valse, M. 72
Daphnis et Chloé, symphonie chorégraphique, M. 57
Yuja Wang, piano
Ray Chen, violon
Tonhalle-Orchestrer Zürich
Lionel Bringuier, direction
Un coffret de 4 CD du label Deutsche Grammophon 4795524
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Photo à la une : © Paolo Dutto