En 1946, Josef Keilberth prenait la direction d’un nouvel orchestre dans la ville de Bamberg. Un nouvel orchestre, vraiment ? En fait, celui dont Gustav Mahler loua les vertus, l’Orchestre du Théâtre Allemand de Prague, détaché de l’opéra par la suite et renommé Deutsches Philharmonisches Orchester Prag. Keilberth, trente deux ans, le dirigeait depuis 1940, il aura sculpté sa sonorité si vive, miroir de la personnalité bouillonnante de ce jeune homme qui allait s’épanouir au théâtre.
Un plein disque de gravures captées à Prague de 1940 à 1944 – Symphonie « Prague », Ouverture de Palestrina, Première Symphonie de Schumann – referme le généreux coffret de 17 CD que Deutsche Grammophon consacre à l’histoire de cette phalange si particulière au sein de l’histoire des formations symphoniques allemandes. Ce jeu plein d’attaques, ce discours alerte, ce dédain justement de la symphonie pour lui préférer un théâtre de sons, cette primauté des rythmes signent un style unique qui enchanta nombre de chefs.
La balance claire était inhabituelle dans le grand concert symphonique germanique, elle l’est demeurée. Pourtant, aujourd’hui, les Bamberger Symphoniker ne sont plus comme au temps héroïque constitués aux trois quarts d’instrumentistes sudètes – cette minorité allemande en Tchéquie – mais ce style enlevé, nerveux, a survécu.
La somme assemblée ici stupéfie, que ce soient les disques consentis au temps de la monophonie à Deutsche Grammophon – Leitner, Lehmann pour une spectaculaire 8e de Dvořák, Clemens Krauss partageaient le podium avec Keilberth – ou ceux enregistrés hier par Jonathan Nott qui grava avec eux une intégrale des Symphonies de Mahler aussi magnifique que méprisée, du moins de ce côté-ci du Rhin.
Rudolf Kempe adorait cet orchestre, et lorsque Electrola lui demanda d’enregistrer en allemand La Fiancée vendue de Smetana, c’est à Bamberg qu’il trouva l’irrépressible parfum tchèque pour pimenter sa version demeurée légendaire aussi par sa distribution : Lorengar, Wunderlich, Frick, quel trio dont on retrouve les meilleurs moments dans un abondant disque d’extraits. Mais je ne connaissais pas cette Inachevée de Schubert si sentie, si nostalgique jusque dans l’ardeur. Magnifique.
Quelques enregistrements en concert publiés pour la première fois émaillent le coffret : l’Ouverture d’Oberon aura-t-elle jamais sonné vif argent à ce point ? C’est Clemens Krauss qui la dirige. Une 4e de Mahler par Kertesz en 1971 tient toutes ses promesses, fluide et piquante à la fois, avec dans le Finale une merveilleuse Edith Gabry : il faut être au moins Seefried ou un enfant pour chanter à ce point comme un séraphin.
La Pastorale selon Sanderling devient une stupéfiante suite de tableaux vivants, littéralement les paysages vous emportent. Des Métamorphoses selon Sinopoli, précises, coupantes, sonnent plus Berg que Strauss, je ne m’en plaindrais pas. Et Günter Wand donne la plus légère, la plus irréelle de ses nombreuses Neuvième de Bruckner. Merveille relative, mais attachante, des Vier letzte Lieder où Nott accompagne le soprano fruité de Genia Kühmeier.
Mais les vraies surprises viennent de la réédition d’enregistrements du catalogue Eurodisc. Si les Richard Strauss de Jochum sont encore connus, j’avais pour ma part complètement oublié les gravures d’Horst Stein. Une Romantique de Bruckner sonne littérale et pourtant somptueuse, la Première de Brahms est ravageuse, mais au sommet éclate une impérieuse Symphonie alpestre qui m’a laissé sans voix.
Ensemble passionnant, immanquable, jusque dans ces Danses slaves où l’orchestre parle sa langue natale sous la baguette heureuse et fantasque d’Antal Doráti.
LE DISQUE DU JOUR
Bamberg Symphony – Bamberger Symphoniker
The First 70 Years
Œuvres de Beethoven, Brahms, Bruckner, Dvořák, Mahler, Mendelssohn, Mozart, Nicolai, Pfitzner, Schubert, Schumann, Smetana, Johann Straus fils, Richard Strauss, Stravinski, Tchaikovski, Verdi, Wagner, Weber
Bamberger Symphoniker
Herbert Blomstedt, Antal Doráti, direction, Christoph Eschenbach, Jascha Horenstein, Eugen Jochum, Joseph Keilberth, Rudolf Kempe, István Kertesz, Clemens Krauss, Ferdinand Leitner, Fritz Lehmann, Jonathan Nott, Witold Rowicki, Kurt Sanderling, Wolfgang Sawallisch, Giuseppe Sinopoli, Horst Stein, Günter Wand, Otmar Suitner, direction
Un coffret de 17 CD du label Deutsche Grammophon 4795805
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Photo à la une : © Peter Eberts