La musique de l’Adagio émerge des limbes, pianissimo, à peine timbrée, puis s’élève la vaste phrase compassionnelle où le quatuor scintille de coups d’archets inégaux et de vibratos décalés ; en une page de musique, l’émotion me submerge. Qui aura enfin réalisé une alternative aussi radicale aux propositions bien plus minimalistes écrites par Ernst Krenek puis Deryck Cooke ?
Yoel Gamzou, vingt-neuf ans, chef israélo-américain officiant en Allemagne. La Dixième Symphonie de Gustav Mahler l’accompagne depuis son adolescence, au point que sa musique est devenue une part de lui-même, cela s’entend autant par le naturel de son instrumentation que par la diversité expressive d’un vocabulaire qui revisite totalement le pouvoir expressif de l’œuvre. On n’est plus face à une partition abstraite, mais bien confronté à une troisième parabole sur la condition humaine. Soudain, l’ultime trilogie mahlerienne prend sens, la 10e Symphonie rayonne du même sombre éclat que ceux dispensés par la 9e Symphonie et Das Lied von der Erde. Stupeur(s) et tremblement(s), une fois entré ici, vous ne pourrez plus en sortir.
Tout y diffère des propositions précédentes car le sujet-même du travail de Gamzou est autre : non plus habiller des esquisses, mais révéler le sujet de l’œuvre. C’est bouleversant, déchirant dans le Finale, vous serez lacéré par le second Scherzo où Mahler écrit que le Diable danse avec lui, et partout surpris par des phrasés enfin éloquents, des alliages de timbres exacts, une complexité rythmique foisonnante, et l’usage savant d’un vocabulaire musical stupéfiant de diversité.
Mais il faut ici que je célèbre également l’art du chef, si prompt à dessiner la moindre inflexion, si maître d’une balance orchestrale subtile, et son orchestre où bouillonne la jeunesse : comme Teodor Currentzis, Yoel Gamzou a assemblé sa phalange en la constituant de jeunes musiciens, techniciens brillants, âmes bien trempées : ce feu, cette rage ne trompent pas.
L’enregistrement a été réalisé en concert à la Philharmonie de Berlin. Je me demande bien si ce n’est pas la gravure la mieux captée dans cette salle à l’acoustique réputée revêche pour le disque. Imparable, et indispensable.
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 10
(réalisation de Yoel Gamzou)
International Mahler
Orchestra
Yoel Gamzou, direction
Un album du label Wergo WER 5122-1
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Photo à la une : © DR