Le Maure et Orphée

Un ballet ? Une symphonie répond Vladimir Jurowski au sujet du Petrouchka de Stravinski dans sa version princeps. Ce pourrait-être un contresens pour un chef moins averti, cela lui est un formidable viatique pour tout exposer de l’orchestre du Russe en marche vers la libération du Sacre du printemps.

Les couleurs sont encore de Rimski-Korsakov, les alliages d’instruments qui bruissent et qui crissent leur théâtre de marionnettes plus du tout, l’alliance des deux ne s’est plus entendue à ce point au disque depuis Ansermet qui, lui, dirigeait absolument un ballet. Jurowski consent, du même trait précis et sec dessiné par l’Helvète, à camper les personnages, cependant c’est une symphonie de portraits, incroyablement virtuose.

En place de l’action, il magnifie une arche symphonique en quatre mouvements où brille la structure parfaite dans laquelle Stravinski a enchâssé sa chorégraphie. Remarquable, pensé et réalisé dans le moindre détail, ce geste recréateur marque la discographie.

Pourtant, il y a mieux encore, Orpheus, du Stravinski période blanche comme disent les spécialistes, et pour cela méprisé d’eux-mêmes. Ses cordes dansantes et ses bois orants n’ont guère eu de chance au disque. Il y faut une poésie, de la légèreté, un art de la suggestion qui est vite dissout par les compteurs de mesure.

Dans ma discothèque, seul un disque confidentiel de John Lubbock et son St. John Smith’s Square était arrivé à s’approcher de la gravure du compositeur (qui y est tout sauf sec contrairement à la légende). Jurowski y ajoute une version aux transparences modelées, avec comme un sens du sacré flagrant dans l’Interlude avant la Danse des furies. Ce pourrait être de la musique pour l’Orphée de Cocteau, c’est si bien vu et bien entendu qu’Orpheus en devient non plus le double d’Apollon musagète, mais son pendant.

Au milieu de ce disque singulier brillent de sombres et hiératiques Symphonies d’instruments à vent. Une stèle sonore où se transfigure ce que Stravinski aura d’abord entendu chez Debussy : la modernité. Tout grand disque.

LE DISQUE DU JOUR

cover-stravinsky-jurowski-lpo-liveIgor Stravinski (1882-1971)
Pétrouchka (version 1911)
Symphonies d’instruments
à vent

Orpheus

London Philharmonic Orchestra
Vladimir Jurowski, direction

Un album du label LPO 0091
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Photo à la une : © DR