Belle idée, marier le violon de Bartók et celui de Ravel sur un même disque. Ils ne sont pas si éloignés que cela, avides d’ailleurs musicaux cherchés et trouvés dans la veine populaire, le vrai folklore roumain et hongrois pour Bartók, la fausse musique rom pour le Tzigane de Ravel, ou ce Blues décalqué sur le modèle dans la Sonate.
L’archet si ample et si mordant de Rosanne Philippens, dont j’avais tant aimé le Premier Concerto de Szymanowski, signait là à ma connaissance son premier disque, enregistré en novembre 2012. Le son ambré de son magnifique Bergonzi (1750) qui fut longtemps joué par Herman Krebbers donne de l’élégance à Tzigane, inspiré par et dédiée à Jelly d’Arányi, sans lui ôter son coté « pièce de genre », d’ailleurs l’album se refermera sur un autre pastiche, la délicieuse Quatrième Scène de la Csarda dont l’inspiratrice fut la « Belle Katie », chacune a donc son héroïne.
Entre ces deux pôles de fantaisie, le Bartók des Rhapsodies alterne ses rêves et ses verbunkos avec la Sonate de Ravel, à quoi s’ajoutent des Danses roumaines incroyables d’évocation : cet archet mobile, à la touche parfaitement ailée, mais qui sait chanter dans le profond de la corde, anime son Bartók d’un caractère mordant au possible. Dans la Sonate de Ravel, jamais jouée aussi sombre, l’espace harmonique se creuse, une tendresse désarmante paraît, d’autant plus intense qu’elle reste toujours pudique, secret justement de l’art du compositeur de Montfort-l’Amaury.
Dans cet exercice de subtilité, le piano dense et alerte de Yuri van Nieuwerk équilibre l’espace sonore : l’ampleur du violon de Philippens s’appuie sur ce clavier orchestre qui fait entendre un musicien de première force. Tous deux m’auront donné un des plus enthousiasmants disques de violon que j’ai entendus depuis longtemps.
LE DISQUE DU JOUR
Maurice Ravel (1875-1937)
Tzigane, M. 76
(Lento, quasi cadenza)
Sonate pour violon et piano
en sol majeur, M. 77
Béla Bartók (1881-1945)
Rhapsodie pour violon
et piano No. 1, Sz. 86, BB 94
Rhapsodie pour violon
et piano No. 2, Sz. 89, BB 96
Danses populaires roumaines, Sz. 56, BB 68 (version pour violon et piano)
Jenő Hubay (1858-1937)
Scènes de la Csárda No.4 « Hejre Kati », Op. 32
Rosanne Philippens, violon
Yuri van Nieuwerk, piano
Un album du label Channel Classics CCSA 35013
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Photo à la une : © DR