Ne me demandez pas pourquoi, lorsque vient le jour de Noël, une irrépressible envie d’écouter le Concerto pour piano de Poulenc me revient. Souvenir d’un disque que je découvrais gamin – je devais avoir huit ans – et qu’on avait mis au pied du sapin : Gabriel Tacchino y jouait d’une face Aubade, de l’autre ce fameux Concerto avec son Finale « en casquette ». Mais ce qui me ravissait, c’était l’Allegretto où passe le souvenir des Biches, où les cors font une musique de chasse, où le piano serpente un thème tendre, en demi-teinte. Puis cet Andante calqué sur Mozart. Le Finale pouvait venir, il ne me faisait pas grand-chose.
Longtemps j’ai vécu avec la version de Gabriel Tacchino et Georges Prêtre jusqu’à ce que, le CD paraissant, je ramène de Londres une magnifique version, plus lyrique, plus effusive, où, à Bournemouth, Rudolf Barshaï accompagnait Cécile Ousset.
Mettant dans la platine avec une année de retard le nouvel enregistrement de Louis Lortie et d’Edward Gardner, je retrouve le même jeu allusif et subtil, le même art d’évoquer, la même variété de paysages qui n’excluent pas l’ampleur du discours – voyez le crescendo de l’Andante – et apporte comme le faisait Cécile Ousset une sensualité irrépressible là où Gabriel Tacchino mettait une distance un rien classique. Admirable version, dont le Finale frôle le cancan avec esprit.
Mais il y a plus, une lecture d’Aubade rendue à la chorégraphie, stravinskienne d’accents, mordante mais aussi poétique, une musique pour un film de Cocteau croirait-on, mystères et tour de passe-passe. Le clavier agile de Lortie passe plusieurs fois son poète à travers le miroir, danseur absolument.
Rejoint par sa fidèle Hélène Mercier, ils transportent ensemble le Concerto pour deux pianos à Bali, véritable gamelan, joué sur les pointes, alternant une comédie acide et des paysages sous opium où Gardner met un piquant orchestre de carnaval. Magnifique, déroutant, envoûtant. Louis Lortie et Hélène Mercier offrent en bonus le quatre mains de la Sonate avec son Rustique en imitation de Satie, puis à deux pianos, la troublante Élégie en accords alternés, escalier harmonique pour les étoiles où monte le fantôme aimé de Marie-Blanche de Polignac. Un Embarquement pour Cythère primesautier, avec son thème de bord de Marne, ferme d’un sourire cet album impeccable.
LE DISQUE DU JOUR
Francis Poulenc (1899-1963)
Concerto pour piano, FP 146
Aubade, FP 51
Concerto pour deux pianos
en ré mineur, FP 61
Sonate pour piano à 4 mains, FP 8
Elégie pour deux pianos,
FP 175
L’Embarquement pour Cythère, FP 150
Louis Lortie, piano
Hélène Mercier, piano
BBC Philharmonic
Edward Gardner, direction
Un album du label CHAN 10875
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Photo à la une : © DR