Heureusement les archives parlent et témoignent de l’art de Youri Egorov, si tôt disparu, avec depuis quelques années un quasi souci d’exhaustivité. Ouvrant sa collection discographique, le Festival de Nohant exhume le concert donné lors de l’Édition des Fêtes romantiques de 1982, Jean Darnel, fasciné par le pianiste kazakh ayant expressément tenu à l’inviter.
Soir de tempête, du moins pour Egorov. Après un Andante favori délié, joué avec un art de la suggestion sonore qui ouvre grand le clavier, éclate la Sonate en ut mineur de Schubert, jouée à un tempo ivre, conduite prestement vers son abîme. Quelque chose d’amer, de définitif emporte le jeu d’Egorov ce jour-là, au point qu’il ne soigne pas forcément la beauté naturelle de sa sonorité. Âpre et terrible ce Schubert, comme pressé par une urgence irrépressible.
L’Opus 10 de Chopin rappelle avec quelle stupéfiante facilité sa technique de haute école dissolvait la virtuosité dans la musique, mais il y a plus, une énergie incroyable qui évite la moindre once de pathos – écoutez les gris colorés du chant de la mi bémol majeur – et fait soudain tonner le clavier comme un plein orchestre : l’Étude en ut dièse mineur est spectaculaire au sens premier du terme.
Deux bis chez Debussy, rêve des Reflets dans l’eau puis d’incendiaires Feux d’artifice résolument plus Matisse que Whistler.
Yves Henry, l’actuel directeur du festival, a la bonne idée de coupler au récital « historique » un second disque présentant des jeunes talents. Sergei Redkin devra encore parfaire son discours, et savoir le tendre malgré le lyrisme si complexe de la Huitième Sonate que Sergeï Prokofiev écrivit en poète d’abord, mais les moyens du jeune Russe sont certains.
Belle surprise de voir enfin l’art de Szczepan Kończal documenté. Trois fois lauréat du Concours Chopin, il délivre des interprétations sentis de trois cahiers de Mazurkas, équilibrant dans une sonorité noble la danse et le récit. Style parfait qui s’applique aussi au grand Nocturne Op. 48 No. 2 et à l’Étude Op. 10 No. 5, mais qui dans les Mazurkas va très loin, créant à chaque opus un monde en soi. Il faudrait tout de même que le disque s’intéresse à ce jeune homme.
LE DISQUE DU JOUR
Archives du Festival
de Nohant, Vol. 2
1.
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Andante favori en fa majeur, WoO 57
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano No. 19
en ut mineur, D. 958
Frédéric Chopin (1810-1849)
12 Études, Op. 10
Claude Debussy (1862-1918)
Images, Livre I, L. 110 (extrait : I. Reflets dans l’eau)
Préludes, Livre II, L. 123 (extrait : XII. Feux d’artifice)
Youri Egorov, piano (Récital 1982)
2.
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour piano No. 8 en si bémol majeur, Op. 84
Sergei Redkin, piano (Récital 2013)
3.
Frédéric Chopin
4 Mazurkas, Op. 24
4 Mazurkas, Op. 30
3 Mazurkas, Op. 63
Étude en sol bémol majeur, Op. 10 No. 5
Nocturne en fa dièse mineur, Op. 48 No. 2
Szczepan Kończal, piano
Un album du label Festival de Nohant / Soupir Edition S239
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Photo à la une : Le jeune pianiste polonais Szczepan Kończal – Photo : © DR