Décidément, les Variations Goldberg deviennent l’alpha et l’oméga du répertoire des clavecinistes comme de celui des pianistes. Chacun veut les enregistrer, croyant y proclamer son style, en avoir une vision singulière, mais nombreux sont ceux qui y échouent (Lars Vogt, Tzimon Barto, Angela Hewitt qui y est revenue voici peu, toujours aussi transparente, Alexandre Tharaud) ou s’y perdent parfois avec une pointe de génie (Esfahani, déconcertant, Christine Schornsheim, assez splendide d’idées, mais difficile à suivre).
Si bien que revenant à celles si droites, si impérieuses de Zuzana Růžičková tout récemment, je me disais qu’elles ne voulaient qu’une certaine simplicité, une évidence dans le jeu polyphonique, le divertissement comme le grave, une fluidité dans les enchaînements, et tout de même cette lumière que Gustav Leonhardt y mit toujours.
Mais voilà qu’Ignacio Prego, dont j’avais tant aimé les Suites françaises, me prend à rebrousse-poil. Il se garde bien d’unifier le cahier, d’enfiler les variations, revendiquant en les scindant de silences de les jouer chacune pour elles-mêmes, procédé peu courant et qui soudain défait la guirlande pour montrer un à un les joyaux. La conception musicale est sciante de sapience, d’une hauteur de vue clouante qui laisse peu de place à l’improvisation et même au plaisir. C’est du grand Bach, sévère, impérieux, lumineux, très articulé, très dit, Růžičková, Leonhardt, Kirkpatrick même ne sont pas loin, ce qui indique bien la singularité du jeune espagnol : son Bach n’a aujourd’hui pas d’équivalent côté clavecin sinon celui de Pierre Hantaï.
Décidément, Leonhardt aura imposé sinon un modèle, du moins une éthique qui s’incarne dans la sonorité roide, si pleine de soleil et d’ombre du magnifique clavecin tiré par Andrea Rastelli d’un Christian Vater de 1738. L’Aria da capo refermée, je recommence à herboriser d’une variation à l’autre, découvrant que cette musique entendue si souvent dans sa logique chronologique devient si l’on en réordonne l’audition à sa fantaisie, un inépuisable labyrinthe dont on ne veut plus sortir.
Disque exigeant, qui se mérite, et ne veut plus être quitté.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Variations Goldberg,
BWV 988
Ignacio Prego, clavecin
Un album du label Glossa GCD 923510
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Photo à la une : © Noah Shaye