Le Schnabel du Nouveau Monde

Entre le 16 juin et le 24 juillet 1942, alors que le monde s’abîmait dans la guerre, Artur Schnabel entrait dans les studios new-yorkais de la RCA. Les États-Unis étaient devenus sa seconde patrie, lui l’exilé de la première heure qui dès l’arrivée des Nazis au pouvoir en 1933 avait gagné Londres, juif emmenant avec lui le saint des saints de l’art germanique, tout ce que Beethoven aura écrit pour le piano.

Les micros des ingénieurs de Victor s’ouvrent pour recueillir les Sonates Op. 109 et Op. 111, ultima verba où le pianiste semble plus libre, plus aventureux, trouvant dans le très beau Steinway de ces sessions des couleurs, des dolce, et un trille plus magique encore qu’à Londres.

Las, Schnabel en refusa la publication, gêné ça et là par quelques fautes vraiment ? Il en faisait autant dans ses gravures londoniennes. Non, mais probablement, étonné à l’écoute par son ton libre, ses audaces, un certain caractère improvisé qui durent lui sembler trop osés. Pas à mes oreilles en tous cas ! Et quel plaisir de l’entendre si bien capté, les micros plus près du piano capturant son jeu fulgurant, ce piano sans marteaux, tout en timbres, rayonnant, dont seuls Gieseking, Kempff et Serkin eurent aussi le secret chez Beethoven. Finalement les deux Sonates parurent en 1976, après que Karl Ulrich Schnabel en ait autorisé la publication.

Le fils du pianiste avait rappelé à John Pfeiffer l’existence d’un autre enregistrement demeuré inédit, où son père confiait pour la première fois aux micros les Quatre Impromptus, D. 899 de Schubert. Il avait raison de les tenir pour supérieurs à ceux gravés en 1950 pour HMV. Quel caractère, quelle poésie, quelle ardeur, quel sens du piano subito, des contrechants, de l’entre-deux, quel geste qui voit large, assemble les quatre pièces d’une seule ligne pour en faire une vaste sonate.

Cet inédit est la révélation de cette édition parfaite qui reprend également les 4e et 5e Concertos, dirigés appassionato par le grand Frederick Stock, Schnabel y faisant assaut de traits saillantes dans L’Empereur avec cette élégance des rythmes qui ne fut qu’à lui, et étreint d’émotion dans peut-être le plus parfait Andante con moto du 4e Concerto jamais gravé. Ce que style beethovénien signifie est là, tout entier immortalisé.

LE DISQUE DU JOUR

Artur Schnabel
The RCA Victor Recordings

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 30
en mi majeur, Op. 109

Sonate pour piano No. 32
en ut mineur, Op. 111

Concerto pour piano No. 4
en sol majeur, Op. 58

Concerto pour piano No. 5 en mi bémol majeur, Op. 73, « L’Empereur »
Franz Schubert (1770-1827)
4 Impromptus, D. 899

Artur Schnabel, piano
Chicago Symphony Orchestra
Frederik Stock, direction

Un album de 2 CD du label RCA/Sony Classical 88985389712
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Photo à la une : © DR