Né pour Beethoven

La petite tempête circulaire qui ouvre la Waldstein indique immédiatement le degré de « beethovénisme » du pianiste qui la joue : elle doit être fantasque, c’est ici que Beethoven ouvre la porte sur d’autres mondes, que se crée ex-abrupto une autre grammaire, allusive, fuyante jusque dans la perfection de sa forme, c’est par elle surtout que le piano découvre en son sein même d’autres univers déjà entrevus dans la 17e Sonate.

Davide Cabassi ne force pas le trait, tempo vif, fantaisie tenue, mais le son ! Vif et ample, coloré mais dessiné, porté par un jeu à dix doigts qui fait l’espace du clavier si vaste, cela sent son eethovénien de haut lignage, Schnabel ne faisait pas autrement, classique et visionnaire à la fois, et comme chez Schnabel, cette double vérité s’équilibre dans la nature-même du son, et dans son espace. Le pianisme de Cabassi en lui-même est somptueux, qui timbre tout sans appui, fait rayonner le clavier, laisse toujours une marge pour aller plus loin, plus haut, plus concentré ou plus volatile.

Sa Waldstein finie, vite, je réécoute celle de Schnabel puis celle de Gilels (Deutsche Grammophon), mes deux modèles. Celle de l’Italien tient en face des leurs, et comment ! Le volume consacré à trois Sonates des opus 50 – le grand cahier des numéros vingt, ici deux grandes, Waldstein et Appassionata, encadrant la difficile et brève 22eBeethoven fait une révérence à Haydn et que Cabassi précède de l’Andante favori, est si parfait dans ses réalisations et dans son sentiment que j’espère très vite un disque avec la triade finale.

À rebrousse temps, j’écoute ensuite le disque consacré à l’Opus 10, et c’est un tout autre piano qui sonne, clavier plein, porté par un jeu au cordeau, cherchant derrière le classicisme ces échappées belles où l’humeur est tout. Tout un autre style qui montre bien à quel point, construisant son intégrale, Davide Cabassi nous mène dans un univers qui est tout sauf univoque.

Pour la 5e Sonate, pour la , le geste est évident dans son calibrage, il va bien plus loin dans la 7e Sonate, qui a des allures de symphonie héroïque et où Beethoven jette sa gourme, caracole, conquiert. Alors le piano de l’Italien fuse, brillant et mordant, mais toujours avec ce clavier sans dureté, qui timbre jusqu’au grandes nuances « forte ».

Il ajoute ensuite la Pathétique, et s’y souvient de la mode des sonates narratives qui envahissaient alors les opus des compositeurs tchèques. Cela raconte, interroge ou fulgure, plus du tout classique, comme écrit en souvenir du Sturm und Drang.

Entre ces deux volumes enregistré à deux ans d’écart (celui de la Pathétique en 2014, celui de la Waldstein en 2016), les pianos font la différence. Le Steinway de 2014 est un rien sec, court, alors que celui de 2016, merveille d’équilibre, à la mécanique si pure, ferait chanter un muet.

J’ai hâte que sur ce splendide D 274 baptisé « Rufus », l’aventure se poursuive.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 5 en ut mineur, Op. 10 No. 1
Sonate pour piano No. 6 en fa majeur, Op. 10 No. 2
Sonate pour piano No. 7 en ré majeur, Op. 10 No. 3
Sonate pour piano No. 8 en ut mineur, Op. 13 “Pathétique”

Davide Cabassi, piano
Un album du label Decca 4811470
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Ludwig van Beethoven
Sonate pour piano No. 21
en ut majeur, Op. 53 “Waldstein”

Andante favori en fa majeur, WoO 57
Sonate pour piano No. 22 en fa majeur, Op. 54
Sonate pour piano No. 23 en fa mineur, Op. 57 “Appassionata”

Davide Cabassi, piano
Un album du label Decca 4814537
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Photo à la une : © DR