Le cycle, absolument allemand de thème, d’esprit, est périlleux en diable, Brahms s’y étant risqué cette fois – ce sera la seule – à marcher dans les traces de Schubert, sans en retrouver le génie. Fischer-Dieskau sauva cet opus de ballades un peu univoque en mettant plus l’accent sur les mots de Ludwig Tieck que sur les notes de Brahms, c’était bien vu surtout lorsque le piano de Sviatoslav Richter y mettait des paysages, mais ne pouvait être qu’à lui. Andreas Schmidt, génialement guidé par Jörg Demus aura longtemps été le seul à en proposer une version radicalement différente, lyrique, intériorisée.
Hier, au concert, Matthias Goerne s’y fourvoyait un rien, peu aidé par son pianiste, Andreas Haefliger, aujourd’hui coup sur coup deux versions paraissent. La simplicité sans fard, même lorsque l’aigu lui manque, qu’y met Nikolay Borchev, adoptant un ton de barde, est bienvenue, même si elle manque d’allusions, d’arrière-plans, son premier degré lui est en somme une vertu qui pourra soulager l’auditeur trop enferré dans les soulignements de Dietrich Fischer-Dieskau.
Il a pour lui un pianiste formidable, aussi évocateur que Richter, aussi narratif que Demus, et c’est d’abord pour lui qu’on écoutera avec étonnement cette version : Boris Kusnezow, que j’avais découvert dans ses disques avec Tobias Feldmann, est décidément un artiste singulier qui sait transformer l’accompagnement en un vrai personnage.
C’est précisément ce qui manque au chant autrement noble, à l’éloquence touchante, à la désarmante poésie dont le baryton clair de Christian Gerhaher pare sa Magelone. Le piano en retrait, pourtant finement joué, de Gerold Huber n’a pas ce caractère, ne peut peindre des paysages aussi prégnants.
Mais comment résister aux subtilités sans appui, à l’art de la suggestion dont Gerhaher enveloppe la musique de Brahms, lui donnant justement, jusque dans l’allégement des voyelles, la brillance des consonnes, et cette touche schubertienne. Difficile de choisir, mais au moins ces deux disques m’ont réconcilié avec une œuvre de Brahms que je croyais ne pas aimer.
LE DISQUE DU JOUR
Johannes Brahms (1833-1897)
15 Romanzen aus Ludwig Tiecks „Magelone“, Op. 33
Nikolay Borchev, baryton
Boris Kusnezow, piano
Un album du label Genuin GEN17470
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Johannes Brahms
15 Romanzen aus Ludwig Tiecks „Magelone“, Op. 33
Christian Gerhaher, baryton
Gerold Huber, piano
Un album du label Sony Classical 8985413122
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Photo à la une : © DR