Un jeune homme anglais doté d’une certaine aisance financière, homosexuel notoire, tout à fait à l’écart de la vie sociale londonienne, reclus dans son somptueux studio de musique aménagé dans la propriété familiale, aura composé une œuvre importante, absolument hors des préoccupations esthétiques de son époque, un peu à l’image de celui que bâtit Joseph Holbrooke. Un grand opéra (The Cenci, d’après Shelley, créé au Scala Theatre par Sir Eugene Goossens, fiasco), trois symphonies, quelques belles partitions de chambre, mais il aura surtout écrit des pièces et des concertos pour son instrument, le piano.
Malgré son isolement de créateur, sa musique aura séduit Benno Moiseiwitsch et Sergei Rachmaninov lui-même qui furent ses amis, l’encouragèrent à surmonter sa dépression chronique qui transparaît dans toutes ses partitions, fascinantes par leur noirceur, leur goût du sombre, leur discours mortifère. Dame Moura Lympany défendit ses Préludes (ce fut elle qui me parla pour la première fois de ce compositeur alors absolument oublié), c’est aujourd’hui Simon Callaghan qui les ressuscite, gravant ce qui semble bien être la première intégrale des 24 Préludes qui évoquent ceux de Rachmaninov non seulement par la qualité de leurs musiques, mais aussi par la technique affûtée qu’ils exigent. Simon Callaghan y fait d’abord de la musique, sondant les abîmes qui s’ouvrent dans ce clavier versicolore, et trouvant les accents suggestifs qu’il faut mettre au vaste cahier des Variations Op. 37 qui complètent son disque, probablement l’œuvre maîtresse pour piano solo de son auteur.
Mais il faut bien avouer que le génie si individuel de Coke paraît surtout dans les concertos pour piano. Le Quatrième (1940) est bien un concerto de guerre, requiem sombre où le piano chante une plainte infinie que rien ne peut exhausser vers la lumière, jusque dans un Finale amer d’une poésie délétère dont Martyn Brabbins et ses Ecossais exaltent encore la noirceur. Quelle œuvre, qui ne ressemble à rien de ce qu’on écrivait alors en Angleterre et même en Europe, la preuve de l’art singulier d’un compositeur qu’il faut redécouvrir.
Le Troisième Concerto est plus tenu par la forme, mais comment, entendant ses récitatifs et ses ballades, ne pas songer aux Concertos de Medtner dont il possède la lyrique effusive ? Du moins ici, les paysages reçoivent quelques rayons de soleil, fut-il couchant. En appendice, l’Andante piacevole, tout ce qui demeure d’un 5e Concerto probablement jamais achevé : Roger Sacheverell Coke avait posé sa plume, vingt-deux années encore d’une vie déserte, on l’oublia de son vivant, le voici revenu des ombres.
LE DISQUE DU JOUR
Roger Sacheverell Coke (1912-1972)
11 Préludes, Op. 33
13 Préludes, Op. 34
15 Variations and Finale,
Op. 37
Simon Callaghan, piano
Un album du label SOMM Recordings CD0147
Acheter l’album sur le site du label SOMM Recordings ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Roger Sacheverell Coke
Concerto pour piano et
orchestre No. 3 en mi bémol
majeur, Op. 30
Concerto pour piano No. 4
en ut dièse mineur, Op. 38
Concerto pour piano No. 5
en ré mineur, Op. 57
Simon Callaghan, piano
BBC Scottish Symphony
Orchestra
Martyn Brabbins, direction
Un album du label Hypérion Records CDA68173
Acheter l’album sur le site du label Hypérion Records, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr
Photo à la une : © Benjamin Ealovega