Photo à la une: Sir John Barbirolli à la tête de son orchestre, le Hallé Orchestra, en 1947, sept ans après la création de la Sinfonia da Requiem de Britten (c) DR
Dans le parcours d’une vie de mélomane passionné, discophile, il y a des découvertes foudroyantes. Les amours musicales naissent de hasards, de rencontres, ou dans la solitude. Encore peu documenté sur l’œuvre de Britten, et sur sa carrière, et de plus en plus attiré par la musique orchestrale anglaise (Elgar, Vaughan Williams, Stanford), trop peu connue en France, je décidai il y a quelques semaines d’explorer la discographie d’une des oeuvres les plus extraordinaires du répertoire orchestral du XXe siècle, la Sinfonia da Requiem.
Britten composa aux États-Unis cette oeuvre en trois parties, au début des années 1940, en vue du deux mille six centième anniversaire de la dynastie Mikado, du Japon. Refusée ensuite par les autorités japonaises en raison de son esprit mélancolique et chrétien, cette partition témoigne de la maîtrise orchestrale ébouriffante de Britten, avant ses plus grands ouvrages lyriques. L’œuvre a été créée à New York le 30 mars 1941 par Sir John Barbirolli à la tête de l’Orchestre Philharmonique de la Ville.
Les bandes de la cette première ont été publiées chez NMC, label spécialisé dans la musique contemporaine qui avait sorti il y a quelques années deux références consacrées à Britten, un programme complet d’archives et un autre enregistrement présentant du Britten méconnu.
Sir John Barbirolli admirait profondément cette oeuvre, et cet enregistrement live de 1967 – dans la lignée de la bande de la création en 1941, publiées dans le cadre de l’anthologie NMC citée ci-dessus, et à connaître! – témoigne de sa vision puissante, intense, et surtout incroyablement lyrique, en plus d’une science de l’architecture incomparable, en parfaite corrélation avec la nécessité expressive.
Vision puissante, intense, incroyablement lyrique; science de l’architecture incomparable, en parfaite corrélation avec la nécessité expressive : toute la vision de Barbirolli dans la Sinfonia da Requiem doit concourir au choc expressif majeur !
Lyrique, anti-sentimentale, cette interprétation live se distingue par son énergie torrentielle, ses gradations insoutenables portées par des phrasés de toute beauté – impressionnant saxophone dans la partie centrale du Dies irae. Le Lacrymosa initial (Andante ben misurato) dévoile d’emblée un caractère tragique inoubliable, qui se maintiendra jusqu’au dernier instant de l’oeuvre. L’accord initial est implacable, parfaitement équilibré – la timbale, à elle seule, semble concentrer déjà toute l’horreur décrite dans la suite du mouvement !
A vrai dire, une telle concentration est assez rare dans cette oeuvre, et le crescendo, ensuite, progresse véritablement par strates, et le point culminant (vers les 6’) atteint une violence, presque bruitiste d’ailleurs dans les cuivres, très souples par ailleurs. Quelle rythmique constamment imperturbable aussi ! D’une concentration extrême, les musiciens du BBCSO, phrasent tous avec une incontestable autorité et une grande liberté.
Le Dies irae témoigne de la virtuosité orchestrale du BBCSO en ce soir du 8 août 1967, et conserve la rythmique implacable de la première partie. L’écriture raffinée du compositeur est défendue avec ardeur et une très grande précision. Barbirolli demeure aussi l’un des seuls qui, dans le Requiem aeternam, pousse aussi loin la puissance lyrique voire charnelle de cette musique, et sans la moindre sentimentalité.
J’ai longtemps cherché de ce chef-d’œuvre de Britten une interprétation, qui allie puissance tragique et grande liberté dans les phrasés. Dans les enregistrements souvent célébrés (Previn, Rattle, chez EMI ; Pesek chez Virgin Classics ; Hickox chez Chandos), soit les orchestres paraissent ternes et dispersés, soient les phrasés sonnent trop courts, sans ce travail sur la longueur d’archet propre au grand chef anglais d’origine italienne, qui hisse alors l’intensité de l’oeuvre à un degré émotionnel supérieur. Le Requiem aeternam, sous sa direction, devient une méditation plein d’espérance autant qu’une douce remémoration (avec un zeste d’anxiété) des événements tragiques de la première partie.
L’expérience Barbirolli est celle d’un vrai maelström sonore !
Notons tout de même une formidable réussite dans cette œuvre, celle de Mark Wigglesworth à la tête du Sydney Symphony Orchestra, l’une des grandes versions modernes (Melba Recordings).
L’OEUVRE ET LA VERSION
Benjamin Britten (1913-1976)
Sinfonia da Requiem
BBC Symphony Orchestra
Sir John Barbirolli, direction
Enregistrement: Royal Albert Hall, London, 8 août 1967; BBC Legends (BBCL 4013-2)
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