La gouaille des vents dans l’Allegro des Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Weber vous tirera les oreilles : quelle folie de jazz s’y invite, coruscante, chamarrée, une sorte de carnaval ivre qui pourrait sortir de la palette d’Ensor, et puis après cela musarde, babille, que d’esprit, quel brio, rendu possible par un tempo à peine infléchi. Qui faisait ainsi déjà ? Ah oui, le jeune Claudio Abbado à Londres, mais sans y mettre autant de caractère.
C’est que Paavo Järvi ose jouer son Hindemith, comme le fils turbulent de la République de Weimar qu’il est toujours un peu resté si l’on y regarde bien ; d’ailleurs l’album se referme sur un Ragtime pas piqué des hannetons. Pourtant, lorsque le Concert des anges de Mathis der Maler résonne, l’espace creusé est vertigineux, la spiritualité rayonnante et tonnante, le triptyque se montre. Paavo Järvi et ses Francfortois sont vraiment chez eux ici, il leur faut poursuivre dans l’abondante œuvre orchestrale d’Hindemith que l’on doit jouer ainsi, verte, aventureuse, mais il faut savoir oser.
Leur audace est d’ailleurs tout aussi révélatrice lorsqu’ils jouent le Quatuor de Brahms dans le travestissement de Schoenberg en l’envisageant par un seul bout : l’original a disparu derrière cet orchestre iconoclaste, qui montre toute la polyphonie comme un écorché montre l’intérieur d’un corps.
Effet saisissant rendu possible par un dégraissement de l’appareil dont Schönberg l’aura lesté : il faut savoir jouer sec, les archets aux talons et les bois drus, écoutez seulement le Rondo alla zingarese, et vous comprendrez. La touche se fera autrement sensuelle dans le Langsamer Satz de Webern, ce grand lied de cordes amoroso, et à l’inverse, l’effet de dissection saisissant pour la Fuga ricercata où Webern reflète Bach.
Deux grands disques, parmi les meilleurs de Paavo Järvi.
LE DISQUE DU JOUR
Paul Hindemith (1895-1963)
Mathis der Maler – Symphonie
Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber
5 Stücke für Streichorchester, Op. 44 No. 4
1922, Op. 26 (extrait : No. 5, Ragtime)
Frankfurt Radio Symphony (hr-Sinfonieorchester)
Paavo Järvi, direction
Un album du label Naive Classique V5434
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Johannes Brahms (1833-1897)
Quatuor avec piano No. 1
en sol mineur, Op. 25
(arr. Arnold Schönberg)
Anton Webern (1883-1945)
Langsamer Satz pour quatuor à cordes en mi bémol majeur (arr. pour orchestre à cordes :
Gerard Schwarz, 1995)
Ricercar a 6, extrait de “Das Musikalisches Opfer” de J. S. Bach (arr. Anton Webern)
Frankfurt Radio Symphony (hr-Sinfonieorchester)
Paavo Järvi, direction
Un album du label Naive Classique V5447
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Photo à la une : Le chef estonien Paavo Järvi – Photo : © DR