Un premier album Bach pour Ducretet-Thomson surveillé par Serge Moreux – l’interprétation de la Chaconne fut l’objet de polémiques homériques – puis une paire de disques pour Decca (Brahms/Schumann/Liszt), voilà tout l’héritage discographique qu’aura laissé Agnelle Bundervoët. Un nom pour le mélomane peu entiché de disques, mais pour le discophile une légende.
Je l’avais pourtant un peu oubliée, cette grande femme blonde au caractère si trempé, rangée avec mes chères Micheline Ostermeyer, Fabienne Jacquinot, Germaine Leroux, France Clidat, Jacqueline Eymar, Janine Weill, Madeleine de Valmalète, divines divas du clavier pour happy few, jusqu’à ce que fouillant dans les archives de la Radio Suisse romande en mode Wolfgang Sawallisch, je tombe sur cette bande du Deuxième Concerto de Saint-Saëns, œuvre peu courante sous la baguette du chef allemand (même si son répertoire était bien plus vaste que celui illustré par le disque). Mais Agnelle Bundervoët si tard (me semblait-il) qu’en 1978, elle dont je ne connaissais que les trois microsillons des années cinquante … après tout, elle n’avait que cinquante-six ans, l’âge d’or pour bien des pianistes. Quelle claque !
Une tornade de sons, un style impeccable mais ardent, une fantaisie de haute école, un brio fou mais jamais vide qui emportait d’un seul geste les trois mouvements de ce concerto impossible qui commence chez Bach et finit chez Offenbach. Quel plaisir de le voir enfin édité, couplé avec une lecture profonde, d’une haute spiritualité, du Prélude, Choral et Fugue de Franck, cet album monographique proposant un portrait complet d’une artiste qui fut en France l’apôtre des modernes : le Concerto de Khachaturian en fait foi, elle y est aussi virtuose et aussi musicienne que William Kapell.
Merci à Michael Waiblinger et à Frédéric Gaussin d’avoir replacé d’un coup cette artiste dans son rang, celui où elle côtoie Monique de la Bruchollerie, Yvonne Lefèbure et Monique Haas. Et demain, s’ils nous rassemblaient tous ses Ravel ? Une grande interprète trop méconnue de l’auteur du Concerto en sol serait révélée.
LE DISQUE DU JOUR
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22, R. 190
Aram Khatchaturian (1903-1978)
Concerto pour piano et orchestre en ré bémol majeur, Op. 38
César Franck (1822-1890)
Prélude, Choral et Fugue, FWV 21
Agnelle Bundervoët, piano
L’Orchestre de la Suisse Romande (Saint-Saëns)
Wolfgang Sawallisch, direction (Saint-Saëns)
Orchestre Symphonique de Paris (Khatchaturian)
Eugène Bigot, direction (Khatchaturian)
Un album du label Meloclassic MC1040
Acheter l’album sur le site du label www.meloclassic.com
Photo à la une : © DR