Il faut oser, jeune homme et pour ses premiers disques, se passer du récital carte de visite et d’emblée choisir de graver deux albums monographiques dont les sujets seront Beethoven puis Brahms.
D’emblée, en ouvrant celui consacré à l’auteur de la Hammerklavier, la concentration du jeu, la clarté du discours, l’élégance de la sonorité qui fait tout entendre sans jamais rien assécher m’ont séduit. Le programme du disque, qui herborise dans les trois âges des sonates (11e, qui n’est pas la plus facile à construire avec ses quatre mouvements qui sont presque quatre univers, la 24è à l’écriture si élusive, et enfin justement la Hammerklavier), montre que le jeune pianiste suisse entend tout de cet univers. Le toucher plus d’une fois est stupéfiant : écoutez le grand decrescendo au centre de l’Allegro con brio de l’Opus 22 ou le dolce qui ouvre l’Adagio cantabile de l’Opus 78, la délicieuse fantaisie un peu ombreuse du motif qui suit.
Mais d’une manière générale, c’est l’invention de tout un discours d’émotions dans le respect de l’esprit et de la lettre de Beethoven qui surprend, au point que sa Hammerklavier est l’évidence même, du portique d’entrée, mesuré, aux vastes déploiements de l’Allegro risoluto joués sans brutalité, dans les timbres de l’instrument, en passant par le nocturne étoilé de l’Adagio.
Et Brahms ? Sa conscience du chef-d’œuvre que sont les Ballades bride son geste, trop dans l’exactitude du texte, trop métrique, aux dynamiques trop pesées. Ce n’est en aucun cas un amoindrissement de la musique, écoutez seulement le coucou désolé de la Ballade No. 3, mais Engeli reviendra ici et osera plus.
D’ailleurs, dès les Rhapsodies, il s’expose, ouvrant grand son clavier, chantant large comme dans une Chaconne pour la main gauche admirablement composée et qui referme l’album. Pourtant, ce sont les Intermezzi de l’Op. 117 qui chantent le mieux dans ce piano subtilement coloré, preuve qu’il est plus proche des complexités de l’ultime Brahms que des foucades du jeune homme tant admiré par Schumann.
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 11 en si bémol majeur, Op. 22
Sonate pour piano No. 24 en fa dièse majeur, Op. 78
Sonate pour piano No. 29 en si bémol majeur, Op. 106 « Hammerklavier »
Benjamin Engeli, piano
Un album du label Solo Musica SM141
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Johannes Brahms (1833-1897)
4 Ballades, Op. 10
2 Rhapsodies, Op. 79
3 Intermezzi, Op. 117
Chaconne pour violon seul de J. S. Bach (arr. pour main gauche : Brahms, Anh. Ia/1 No. 5)
Benjamin Engeli, piano
Un album du label ARS Produktion 38250
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Photo à la une : © Marco Borggreve