Grande symphonie

La 9e de Schubert manquait inexplicablement à la discographie de Fritz Reiner. Son art impérieux, son sens de la forme, sa maîtrise du temps en musique, la science des crescendos (ou plutôt de retenir les crescendos), tout le désignait pourtant comme un interprète primordial de cette partition où Schubert s’affranchit de Beethoven pour anticiper sur Bruckner.

Mais heureusement, une captation radio réalisée le 19 décembre 1957 avec son orchestre de Chicago aura survécu, saisie ici « on the air » (il semble que les archives de l’orchestre ne l’ont pas conservée, en tous cas elles ne l’ont à ma connaissance pas publié, que ce soit en microsillon ou en compact disc).

Le son est excellent à l’exception d’une brève perte de canal, et fait entendre le travail méticuleux que Reiner exige de son quatuor : chaque détail y est soit ciselé soit buriné. Sur cette fabuleuse assise où les contrebasses rugissent autant que celle des Berliner à la grande époque de Furtwängler, Reiner élève de véritables Alpes symphoniques, musiques élancées et imposantes, où derrière un aveuglant soleil semble se dissimuler un dieu cruel. C’est la symphonie de Mars, l’envers même de la fête dionysiaque qu’y savourait Josef Krips à Londres : adieu Mozart, bonjour Bruckner.

Cette approche radicale – écoutez la coda cravachée de l’Allegro ma non troppo – coupe le souffle par son éloquence implacable, et ajoute à la discographie de ce chef-d’œuvre ce qui pourrait être un monolithe d’un noir aveuglant.

Fascinant de bout en bout, mais aussi exténuant à force de sostenuto, comme porté par une violence inextinguible. Avant cela le Prélude d’Irmelin de Delius savamment composé, les rugissements âpres de la Francesca da Rimini de Tchaïkovski ne sont, en somme, que des « amuse-gueules ».

LE DISQUE DU JOUR


Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 9 en ut majeur, D. 944 « Grande »
Frederick Delius (1862-1934)
Irmelin, RT i/2 – Prélude
Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Francesca da Rimini, Op. 32, TH 46

Chicago Symphony Orchestra
Fritz Reiner, direction
Un album du label Yves St. Laurent YSL T-607

Photo à la une : © DR