Tous les articles par Pierre-Yves Lascar

Andreas Staier aux Bouffes du Nord

Il y a quelques semaines sortait chez Harmonia Mundi le nouvel opus d’Andreas Staier, consacrées aux Variations Goldberg de J. S. Bach. Extraordinaire version, sans doute l’une des plus belles versions discographiques récentes de ce corpus majeur, réalisée sur un clavecin somptueux (cf. ci-dessous, ici).

Au programme de ce concert de Staier aux Bouffes du Nord, il y avait donc ces Variations Goldberg de Bach, que le claveciniste allemand fréquente assidûment Continuer la lecture de Andreas Staier aux Bouffes du Nord

Le Bach rayonnant de Riccardo Chailly

Le hasard des calendriers vaut au mélomane quelques sorties Bach particulièrement intéressantes. Decca publie les premières étapes d’un pèlerinage Bach de Riccardo Chailly réalisées dans le cadre de son mandat de directeur musical de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig. Voici donc la Passion selon St. Matthieu et les Concertos brandebourgeois, et bientôt aussi l’Oratorio de Noël.

La St. Matthieu bénéficie des forces chorales rayonnantes du Thomanerchor et du Tölzerknabenchor, puissantes, à l’efficacité dramatique indéniable. Irrésistibles demeurent ces voix d’enfants, dont l’innocence en même temps que la lumière donnent un caractère d’éternité au récit tragique de la Crucifixion du Christ. Ainsi toutes les interventions des chœurs, séparés ou en tutti, forcent-elles l’admiration.

bach chailly st matthieu deccaA cet égard, l’un des moments les plus saisissants se trouve dans ce duo magique soprano / alto avec interventions du chœur à la fin de la première partie (« So ist mein Jesum nun gefangen »), qui, sous l’impulsion dionysiaque du chef italien, lance ses interjections avec une force tellurique, à tel point que ce passage donne l’impression que le compositeur a réellement superposé deux mesures métriques différentes. Or, il n’en est rien. Cependant, dans la dramaturgie du discours, il y a bien deux « temps » différents, celui d’une foule, impatiente et pouvant être sujette à la violence (« Lasst ihn ! Bindet nicht !» ), et celui, plus lyrique et désespéré, du duo de solistes.

D’une manière générale, le chef italien semble plus intéressé par les chœurs dans l’œuvre du Cantor que par le drame, dont le dit chœur est l’un des protagonistes. Peut-être pâtit-il d’une équipe de solistes tout juste bons et souvent empêtrés dans leurs problèmes techniques – hormis la soprano Christina Landshamer, souvent expressive. C’est pourquoi le drame reste-t-il toujours sous-jacent, sans jamais réellement exploser.

L’Evangéliste (Johannes Chum) défend sa partie, sa prestation devient cependant un brin monotone faute d’une diversité suffisante de couleurs dans son timbre. Le Christ (Hanno Müller-Brachmann, basse légère) dispense ici une Parole qu’il est difficile de considérer comme divine – son incarnation paraît un peu plate.

Ainsi, cette Passion est-elle à moitié réussie, et engendre la déception, alors que le début promettait une version des plus vivantes – le chœur initial est un modèle de clarté polyphonique. Écouter ici Chailly vous permettra comme toujours d’entendre la technique hardie de Bach, sans pénétrer pour autant les subtilités et l’intensité de l’œuvre.

Rejaillit alors le souvenir des deux versions d’Harnoncourt (Teldec 1970, puis Teldec 2002), de leurs richesses inépuisables – l’Évangéliste de Kurt Equiluz, le Christ de Karl Ridderbusch et l’alto si bouleversant de Paul Eswood pour la première (1970), l’équilibre général sublimé par la présence de solistes suprêmes, et en premier lieu Bernarda Fink et Christina Schäfer, l’intensité dramatique du chœur, la variété des accents, l’impact sonore pour la seconde – et l’on comprend alors que Chailly n’eut pas lors de ses concerts l’équipe qu’il méritait vraiment.

chailly brandebourgeois coverEn fait, ses affinités avec Bach sont réelles. Ses Concertos brandebourgeois jaillissent de vie, de couleurs. Ils s’avèrent admirablement phrasés, en aucun cas précipités, et toujours dans l’élan, dans le mouvement. Une grande version moderne, qui donne des deux œuvres les plus difficiles du cycle (l’infernal Concerto n°1, et le virtuose Concerto n°2) des versions incroyables de naturel – cors pétulants dans le premier, trompette rayonnante dans le Deuxième.

Le Bach de Chailly est parfait de lisibilité, d’ équilibre, sans oublier le son du Gewandhausorchester, rond et chaleureux. Ce Bach a du poids – sans être empesé naturellement. Tout simplement, il respire.

Éloigné de la sécheresse de la majorité des interprétations qui veulent nous faire croire qu’un Bach authentique est un Bach sec, dépourvu d’assise sonore, ce Bach de Chailly comprend à peu près tous les composantes qui me séduisent. Quel dommage alors que le chef italien ait choisi un clavecin sans âme dans le Cinquième Concerto ! Une réserve, qui ne doit pas vous dispenser cette intégrale passionnante des Brandebourgeois.
→ Demain, Andras Schiff dans les Partitas de Bach, événement de ce printemps 2010 chez ECM.

Photo : (c) DR

Ansermet : des live avec l’OSR à foison sur Cascavelle

Pour approfondir l’art du chef helvète, Cascavelle nous propose également une première série de témoignages en concert, disques malheureusement indisponibles au numérique et distribués par Abeille Musique. Quatre albums exceptionnels, préludes à d’autres encore plus alléchants. Extraordinaire Continuer la lecture de Ansermet : des live avec l’OSR à foison sur Cascavelle

Ansermet : les premières années Decca chez Cascavelle

Il y a quarante ans disparaissait un grand musicien du XXe siècle, Ernest Ansermet, fondateur de L’Orchestre de la Suisse Romande, et son directeur musical de 1918 à 1967. Alors que Decca Australie débute la réédition intégrale de son legs officiel (Le retour d’Ansermet sur Qobuz), le label suisse Cascavelle a regroupé sous le titre de « The Early Days » la totalité des volumes de l’ancienne édition Dante/LYS déjà conçue par François Hudry, biographe du chef d’orchestre. Continuer la lecture de Ansermet : les premières années Decca chez Cascavelle

Concert Kozena – Schiff à Londres (Wigmore Hall)

Le jeudi 4 février, deuxième de mes journées londoniennes, Magdalena Kožená et András Schiff donnaient un récital au Wigmore Hall.

Très beau lieu, presque secret, étroit – l’un de ces lieux, aussi, où l’acoustique présente quelques défauts par sa réverbération excessive, qui tend à brouiller les intentions des interprètes. Ce soir-là, les deux musiciens avaient organisé leur programme autour de la mélodie tchèque, celle des Janáček, Dvořák, que la mezzo-soprano a déjà défendue en studio à plusieurs reprises (Songs my mother taught, Love Songs).

L’écoute régulière des derniers albums de la mezzo-soprano (Haendel, Vivaldi), en compagnie du Venice Baroque Orchestra et d’Andrea Marcon, m’a définitivement convaincu de la froideur expressive de ce timbre ambré. La vocalisation toujours parfaite, la maîtrise assez impeccable des registres ne dissimulent pas tout à fait une faible imagination poétique.

Étonnant de voir en effet une cantatrice si peu soucieuse de transmettre les subtilités de sa langue, l’ironie, le sarcasme, la naïveté de ces miniatures littéraires. Magdalena Kožená chante fort, toute engagée dans une déclamation aussi peu nuancée que caractérisée.

Où sont les paysages et les atmosphères ? Peut-on interpréter des mélodies de Janáček sans souligner l’invention perpétuelle de la prosodie et des couleurs ? Peut-on jouir des ballades narratives de Dvořák sans ressentir toute l’ironie tendre qu’y met en réalité le compositeur ?

Bref, un concert légèrement monotone, heureusement sauvé par l’interprétation de Dans les brumes de Janáček par András Schiff, vision à la fois hautaine, implacable et richement colorée.

Photo : (c) DR