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Faust perdu et retrouvé

À l’été 1958, Decca enregistrait à la Santa Cecilia de Rome le Mefistofele de Boito, capturant la Margherita de Renata Tebaldi à son absolu sommet vocal et le Diable de Cesare Siepi, modèle de style, voix svelte et musclée, timbre mordant. Et Faust ? L’intégrale, menée très artistement par Tullio Serafin, autant poète que dramaturge, paru avec Mario del Monaco, dont le débraillé, même surveillé par le maestro, faisait un sacré bémol.

Cette faute cachait un mystère dont tout Rome jasait : le Faust que voulait Tullio Serafin était Giuseppe di Stefano, artiste d’une maison adverse à laquelle il n’était pourtant pas lié pieds et poings. D’ailleurs, Serafin l’avait eu pour ce Faust. Il aura fallu attendre 1973 pour qu’enfin, Decca édite sur un microsillon devenu vite rare, tout le rôle de Faust avec le ténor de la Callas sans qu’on sache jamais pourquoi Mario del Monaco l’y aura supplanté.

Et c’est merveille de le retrouver ici, jeune homme ardent qui soigne le style et séduit sa RenataMargherita avec un tout autre charme que le bellâtre Del Monaco. Si bien que l’album réentendu, je me dis que ces grands extraits sont peut-être le moment discographique où le chef-d’œuvre de Boito aura été approché au plus près. Ce Faust juvénile et ardent, poète et élégant, n’aura eu qu’un descendant : celui de Carlo Bergonzi. Ecoutez seulement.

LE DISQUE DU JOUR

Arrigo Boito (1842-1918)
Mefistofele – Grandes scènes

Cesare Siepi, basse (Mefistofele)
Giuseppe di Stefano, ténor (Faust)
Renata Tebaldi, soprano (Margherita)
Lucia Danieli, mezzo-soprano (Marta)
Piero de Palma, ténor (Wagner)
Orchestra e Coro dell’Academia di Santa Cecilia, Roma
Tullio Serafin, direction

Un album du label Decca 4824757 (Collection « Eloquence Australia »)
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Valse mortelle

Il y a un tropisme français chez Eduard van Beinum, ses Debussy, ses Berlioz, ses Ravel dévoilent une poétique orchestrale qui aura modifié la nature sonore du Concertgebouw telle qu’il l’avait héritée de Willem Mengelberg.

Ce mélange détonant d’élégance et de cruauté éclate dans une Valse vampirique, d’une suavité vénéneuse, étrange course à l’abîme dont les envoûtements fascinent : cet orchestre si mobile, qui mord à la vitesse d’un aspic, sait être d’une seconde à l’autre sec puis voluptueux ; c’est celui de Ravel-même, ce qu’illustre au même degré de perfection une Rapsodie espagnole moite, inquiétante, pleine de rumeurs et d’ombres dont les gitaneries n’auront jamais été aussi cante jondo. Mais le Boléro lui-même, somptueusement étouffant, participe de la même saturation de l’espace.

Ce triplé Ravel est faramineux, après lui (ou avant dans l’ordre du disque), les Franck distillent une toute autre lumière. Psyché rêvé, très tendrement composé dans les soieries d’un orchestre décidément faramineux, est cent coudées au-dessus de ce que tous les orchestre français pouvaient alors y faire et les Variations symphoniques, où le jeune Géza Anda dissipe le brouillard en phrasant tout, sont un modèle de style prenant le contrepied de l’estampe incarnée par Walter Gieseking et Landon Ronald, autre version majeure du 78 tours. Mais c’est à ce Ravel parfaitement délétère que vous irez d’abord.

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)
Rapsodie espagnole, M. 54
La Valse, M. 72
Boléro, M. 81
César Franck (1822-1890)
Psyché, FWV 47
Variations symphoniques pour piano et orchestre, FWV 46

Géza Anda, piano
Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam
Eduard van Beinum, direction

Un album du label Decca 4825491 (Collection « Eloquence Australia »)
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Beauté

« The Bel Canto Violin » proclament les disques de cette série – en fait une intégrale de tout ce que le violoniste anglais aura enregistré pour Decca et L’Oiseau-Lyre. Comme c’est vrai !

Campoli – abandonnez vous aussi le prénom, les Londoniens ne l’appelaient affectueusement que par son patronyme – né à Rome en 1906 dans une famille de musiciens (sa mère Elvira donnait la réplique à Caruso, rien moins) Continuer la lecture de Beauté

Sa Patrie

L’écrire est terrible, mais condamné par son cancer, Jiří Bělohlávek aura transcendé son art : ses récents Dvořák, Symphonies, Concertos, Danses slaves (parmi les plus belles depuis Kubelík), Stabat Mater le disaient assez : revenu chez lui à Prague, enfin choisi en 2012 par les musiciens de la Philharmonie tchèque, il atteignait au but de sa vie : inscrire son art dans la filiation de ceux de Václav Talich et de Karel Ančerl, rien moins. On ne pouvait le lui contester depuis dix ans, et ce n’est pas un hasard si, au terme, paraît cette version granitique de Má Vlast patiemment enregistrée Salle Smetana du 12 au 14 mai 2014.

Granitique et narrative, un conte sombre dont les épisodes épiques se rassérènent dans des paysages aux détails ouvragés dès la harpe d’aède qui ouvre Vysehrad, où des personnages paraissent saisis dans toute la violence de leur mouvement – Sarka ! –, tout un théâtre d’images où paraît le récit national.

Mais derrière ces contes formidables emplis de bruits et de fureur, une amertume glaciale s’incarne dans l’identité sonore même de la Philharmonie Tchèque, quelque chose d’irrémédiable, de funèbre qui pleure éperdument dans la clarinette de Sarka. Magnifique désespoir d’un lyrisme terrible, tenu de si près par Jiří Bělohlávek, si surveillé, si intensément sculpté qu’en refermant l’album un souvenir me saisit : cette tension, ce geste épique, ces sonorités quasi mahlériennes, où les avais-je déjà entendues incarnées ainsi dans le chef-d’œuvre de Smetana ?

Chez Václav Smetáček, qui fut toujours l’auteur de ma version favorite. Bělohlávek le rejoint, autre héros de ce panthéon.

LE DISQUE DU JOUR

Bedřich Smetana (1824-1884)
Má Vlast (Ma patrie)

Orchestre Philharmonique Tchèque
Jiří Bělohlávek, direction

Un album du label Decca 4833187
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