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Andalousie

Garrick Ohlsson aura pris son temps pour venir au disque confronter son grand piano aux Espagnols, mais on doit se souvenir qu’au concert, il avait commencé assez tôt. Ses récentes Goyescas, peintes à grands traits, dans la profusion de son clavier orchestre, m’avaient étonné en bien, mais l’attendais-je dans Falla qui veut idéalement un clavier plus sec, des angles plus vifs et n’a, croit-on, que faire d’un tel instrument ?

Dès les Quatre pièces espagnoles, je dois abandonner ma défiance : ce clavier plein sait les faire danser et leur donne un sacré caractère, même si les sorcelleries de timbres d’une Alicia de Larrocha n’y sont pas. Heureusement, Ohlsson nous épargne les pièces de jeunesse qui ne sont qu’anecdotes, il préfère les transcriptions des ballets que Falla brossa pour lui-même et pour Ricardo Viñes. Son Tricorne est très visuel, d’un piano vraiment orchestre et pas une trace des stylisations XVIIIe siècle qu’y dorait Larrocha n’y paraît, mais assurément la danse, le grand geste de Massine. C’est Ballets russes !

Le premier coup de génie du disque résonne dès la proclamation de la Pantomime qui ouvre El amor brujo : tout y est, la caverne, la nostalgie, les enchantements et les fureurs de Candelas, le conte et le ballet, les sanglots des cantaores, une Danse du feu qui ne pourrait être un bis, tout cela incarné dans un piano orchestre assez fabuleux, qui peut se tenir à coté de celui d’Alicia de Larrocha, c’est dire !

Autre coup de génie, une Fantasia Baetica visionnaire, roide, droite et puissante, qui a un petit côté Sacre du printemps, rituel primitif dont Ohlsson transmue là encore le piano clavier en un orchestre aux strates multiples et qui exploite les complexités harmoniques de la partition, désignant à quel degré Falla y avait atteint un point de non-retour. Plus andalou serait impossible, semble proclamer Ohlsson. Le plus étonnant est bien qu’il le fasse dans un clavier jamais guitare, où aucune facilité, aucune Espagne de pacotille ne paraît jamais. Mais, quelle Andalousie !

LE DISQUE DU JOUR

Manuel de Falla (1876-1946)
Cuatros piezas espanolas (4 Pièces espagnoles)
Tres Danzas d’ « El sombrero de tres picos »
Canto de los remeros del Volga
El amor brujo, suite pour piano
Homenaje (Hommage pour le tombeau de Clause Debussy)
Danza No. 2, extraite de « La vida breve » (arr. pour piano)
Fantasia Baetica

Garrick Ohlsson, piano

Un album du label Hypérion CDA68177
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Photo à la une : © DR

Alicia 54-55

Thomas Frost, entendant les premières bandes enregistrées par une jeune pianiste catalane à Bilbao, décida de lui faire graver ses premiers disques : les sessions débutèrent le 15 mars 1954 au Pythian Temple de Manhattan Continuer la lecture de Alicia 54-55

Con fuoco

La plainte mélismatique du Polo résonne, ardente, feulée, on voit les gitans assemblés, on entend les rasgueado des tocadors, le taconeo de la danseuse. Qui chante ainsi l’ultime des Sept chansons populaires espagnoles de Manuel de Falla ? Nadège Rochat, déployant le plus vocal des violoncelles qui en remontre à la plus farouche des mezzo-sopranos. Transcription ? D’elle–même et de son guitariste. Il y a du duende dans cet archet, un élan, une plainte aussi que vient aviver la guitare virtuose et amère du grand Rafael Aguirre, partenaire du second album de cette violoncelliste prodige qui fit sensation à ses débuts au Konzerthaus de Berlin en 2010. La femme est aussi belle que l’artiste, ce qui ne s’entend pas au disque, car la préoccupation première de son art n’est certainement pas esthétique. Continuer la lecture de Con fuoco

Du style

Javier Negrin, quarante ans l’année prochaine, né aux Canaries, élève de Yonti Solomon au Royal College of Music, est un pianiste discret, trop discret. Avec un peu de retard j’écoute les deux albums qu’il a enregistrés pour le label nord-américain Odradek où il fait le grand écart entre Scriabine et le répertoire catalan, et à chaque fois, l’exactitude du style employé me saisit. Continuer la lecture de Du style