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Jerusalem

Voici trente ans, Charles Brett, Noémie Rime, Howard Crook et Nathalie Stutzmann enregistraient les sévères Leçons de Ténèbres de Michel Lambert, celles datées de 1689. Quel contraste avec le Lambert des Airs de cour, si charmeur, si alerte, si tendre. Tout un autre monde se découvrait, qui rappelait l’ambivalence du Grand Siècle.

Un autre recueil de ces même Leçons, premier cycle remontant aux années 1662-1663 restait à dormir dans les bibliothèques, effrayant les rares musicologues qui s’étaient penché sur ces portées souvent énigmatiques. Marc Mauillon et ses amis les restituent aujourd’hui dans leur intense piété, leur splendide nudité qu’accentuent encore un continuo discret où les affects de la voix, la puissance sereine de la parole, trouvent comme un miroir.

L’identité vocale de Marc Mauillon, chantre qui ose des ornements en mélisme où le grégorien semble se survivre, trouve dans ces musiques un terrain d’élection : nul doute que la spiritualité de son chant, si sensible dans ces Lambert, aura profité de son long voyage chez Guillaume de Machaut : on entend ici toute une culture à revers dont la piété du Grand Siècle, son style sévère, son dénuement, se font inconsciemment l’écho.

Qui entrera ici, dans cette nef dépouillée, devra abandonner l’espoir de toute séduction, tant le chanteur et ses amis instrumentistes – plaisir de retrouver au clavecin et au positif Marouan Mankar-Bennis dont le récital Dandrieu me charme tant par ailleurs – s’immergent dans le sens des mots et des notes.

Mais pourtant l’ascèse est douce, une spiritualité rayonnante en découle, hypnotique jusque dans les ponctuations instrumentales empruntées à la viole de Nicolas Hotman ou au luth d’Ennemond Gaultier dont le désarmant Tombeau de Mézengeau referme l’album.

LE DISQUE DU JOUR

Michel Lambert (1610-1696)
Leçons de ténèbres, 1er cycle (1662-1663)

Marc Mauillon, taille
Myriam Rignol, viole de gambe
Thibaut Roussel, théorbe
Marouan Mankar-Bennis, clavecin

Un album de 2 CD du label harmonia mundi HMC 902363.64
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Photo à la une : © DR

Tragédie de clavecin

Peu de clavecins auront été si proches de l’opéra. Dandrieu, écrivant ses Pièces de caractère n’était jamais loin de l’esprit du théâtre, il jouait à son clavier tout un univers où la noblesse se teintait d’une touche de merveilleux, où les hommages (à Lully, à Corelli) célébraient les noces des styles français et italiens, tissant habilement les formes anciennes aux harmonies nouvelles.

Si les titres sont encore dans le goût de Couperin, la musique, elle, fait surgir des drames, suscite des émotions, peint des tableaux qui font voir l’amour ou la guerre. Et si Dandrieu n’était pas ce petit maître qu’on dit, mais au contraire le génie du clavecin français entre Couperin et Rameau, disparu derrière ses splendides Noëls d’orgue ? L’abondance de son œuvre, la qualité de son écriture, l’usage résolument moderne qu’il fait de l’instrument lorsqu’il verse dans cette langue descriptive (Les Caractères de la guerre) et qu’il partagera seulement à ce point avec Pancrace Royer, plaident pour qu’enfin soit réévaluée sa place dans l’histoire de la musique du début du XVIIIe siècle.

Herborisant dans les trois grands Livres de clavecin, Marouan Mankar-Bennis se sera composé une tragédie lyrique pleine d’élan et de flamme. Quelle audace pour ce que je crois bien être son premier disque ! Sa compréhension naturelle de ces musiques le transporte, débridant son jeu, aiguillant un sens descriptif toujours saisissant, et les deux clavecins qu’il fait se succéder au cours de l’album – un somptueux flamand d’après Couchet, et le si poétique instrument réalisé en 1989 par Ryo Yoshida inspiré d’un Anonyme du XVIIIe siècle – diversifient les couleurs d’un disque splendide, le premier à rendre pleinement justice à l’univers brillant et profond de Jean-François Dandrieu depuis l’ancien enregistrement d’Olivier Baumont et le Premier Livre plein de caractères qu’avait signé Iakovos Pappas.

Mais si cela n’était qu’un début, si L’Encelade, dont les disques se succèdent dans un tel degré de qualité, songeait à demander à Marouan Mankar-Bennis toute l’œuvre de clavecin, les trois Livres de jeunesses, les trois grands Livres de la maturité ? Il ne serait que tant d’honorer enfin à sa juste mesure un génie de la musique française de son temps.

LE DISQUE DU JOUR

Jean-François Dandrieu (1682-1738)
Livre de jeunesse – Prélude
Pièces de clavecin, Livre III, Suite No. 2 (4 extraits)
Pièces de clavecin, Livre II, Suite No. 3 (3 extraits)
Pièces de clavecin, Livre III, Suite No. 1 (1 extrait)
Pièces de clavecin, Livre I, Suite No. 2 (1 extrait)
Pièces de clavecin, Livre I, Suite No. 1 (3 extraits)
Pièces de clavecin, Livre II, Suite No. 2 (2 extraits)
Pieces de clavecin, Livre II, Suite No. 1 (4 extraits)
Le tympanon

Marouan Mankar-Bennis, clavecin

Un album du label L’Encelade ECL1701
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Photo à la une : © DR