Dernier jour avec Hiroaki Takenouchi avant premier notre jour de pause du lundi 10.
Notre musicien japonais, qui habite à Londres depuis plus de vingt ans, et fait chaque semaine le chemin pour aller enseigner au Conservatoire de Glasgow en Ecosse (aller par train de nuit, et retour en avion !) n’aura vraiment pas choisi les oeuvres les plus faciles de Haydn. Il y a quelques mois, il souhaitait absolument enregistrer la Sonate en mi bémol majeur Hob.XVI:25, petit objet lunaire, totalement étrange, composé d’un mouvement initial assez développé (Moderato) et d’un très court Tempo di Menuetto. Pendant la session, il se disait prêt à renoncer à cette Sonate qu’il apprécie tout particulièrement.
Nous l’avons finalement maintenu, étant moi-même persuadé que cette Sonate en mi bémol restait souvent le point d’achoppement de nombreux enregistrements récents, les pianistes d’intégrales semblent souvent la considérer comme une petite sonate qui n’a pas grand-chose à dévoiler. La veille au soir, Takenouchi, qui en avait juste joué quelques extraits, tentait dans le premier mouvement des couleurs qui la révélaient sous un nouveau jour. Impossible de ne pas capter cette vision si naturelle ! Nous décidions alors de nous y atteler en ce dimanche matin.
Cette Sonate en mi bémol majeur demeure finalement une des plus inventives de Haydn. Le ton un peu bourru du lancé initial cache une détermination dans l’énoncé des motifs qui anticipent, bien plus que d’autres Sonates plus connues de cette même époque (comme la Sonate en ut mineur), sur le style tardif de Haydn (les Quatuors Op. 76 ou 77, ou certaines symphonies Londoniennes).
Cette Sonate en mi bémol majeur est idéale en proportions, et propose une grande variée de climats.
Cette œuvre en mi bémol majeur est idéale en proportions, et propose une grande variée de climats. En réalité, Hiroaki Takenouchi tente au début du premier mouvement des sonorités qui rappellent la douceur du clavicorde et qui captent irrémédiablement l’intérêt de l’auditeur, si tant est qu’il soit un minimum attentif et amoureux de cet univers. Quant au Tempo di Menuet, il est d’une brièveté étonnante (une à deux pages selon les éditions), et présente des difficultés d’exécution dans les trilles, nous rappelant alors, une fois encore, que ces Sonates de Haydn, de la fin des années 1760 et du début des années 1770, sont plus naturellement destinées au clavecin. Cette Sonate en mi bémol majeur commencera certainement le disque, à paraître en octobre 2014.
La suite de la journée nous permet de terminer sur les autres œuvres de cet enregistrement Haydn (Hob.XVI:21), ou de revenir sur certaines Sonates des jours précédentes (Hob.XVI:20). En fin de soirée, nous découvrons avec un certain ravissement, après réécoute, que la réalisation d’Hiroaki la veille au soir dans le premier mouvement de la Hob.XVI:37 – nous venions de nous replonger dans les deux autres mouvements – ne nécessitait pas forcément de s’y replonger en détail, vu que nous avions déjà de nombreuses prises, différentes, autant digitalement que poétiquement.
La musique de Haydn, analysée, décortiquée, répétée, possède une force presque astringente.
A la fin de cette journée, aux environs de vingt-deux heures, l’équipe ne cachait pas sa fatigue ; la musique de Haydn, analysée, décortiquée, répétée, possède une force presque astringente. Pour le pianiste, l’angoisse face à l’enregistrement se dissipait légèrement, et la nuit serait enfin plus calme. Le dîner fut bon, mérité. Nous étions heureux de pouvoir nous revoir quelques semaines plus tard pour la phase de la phase de l’editing, moment qui allait de toute évidence s’avérer primordial pour la complète finalisation du projet – une sortie ambitieuse pour Artalinna à la rentrée prochaine.
Photo : (c) Pierre-Yves Lascar – Février 2014